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Appel au secours des brûlés



Un patient gravement brûlé au Centre des brûlés de l’Hôpital libanais-Geitaoui. Olivia Le Poidevin/L’Orient Today

« Je me suis envolée, mes cheveux brûlaient, je les arrachais. J’ai vu de loin mon mari, je me suis dit “ma bou chi”, il n’a rien. Il était mort. Ici à l’hôpital, ils ont mis six heures pour retirer les pierres et la terre de ma peau. Je n’ai plus d’homme, je n’ai plus de maison, j’ai un fils de trois ans. Et comme tu vois, j’ai quelque chose dans la tête qui m’empêche de parler normalement. Voilà ce que je peux te dire. » Cette jeune femme de trente ans au visage à moitié calciné a perdu l’œil droit. « Je n’ai plus la force de me souvenir », finit-elle par ajouter. Elle est soignée dans le secteur des brûlés – le seul spécialisé au Liban – celui de l’Hôpital libanais-Geitaoui. À côté d’elle, sa sœur est assise, muette, les mains croisées sur les genoux.

Leny Mehanna, infirmière en chef de ce centre depuis 2020, est de ces êtres qui assurent l’humanité du pays. Son regard s’est tant frotté aux regards des autres, à leur douleur, qu’il ne s’y trouve que l’essentiel : le calme associé au sens de l’urgence. Quand elle entre dans les chambres des brûlés, on voit émerger de la lumière sur les visages, parfois des sourires. « Le plus dur pour les brûlés, me dit-elle, c’est la peur de l’après. » Chacun se demande : “À quoi je vais ressembler?” »

Deux garçons de 15 et 16 ans, brûlés des jambes et des bras, épargnés aux visages, occupent une chambre voisine. Ils sont l’un et l’autre d’une beauté rare. Le plus jeune a assisté à mon entrée dans la pièce avec une pointe d’ironie. Encore une qui veut savoir ce qui m’est arrivé. Il met tout dans une courte phrase : « Mon père, ma mère et mes cinq frères sont morts. » Et son regard planté dans le mien me transmet fièrement son dernier mot sans un mot : tu crois qu’il y a quelque chose à ajouter ? Je me retire sur la pointe des pieds.

C’est dans la chambre d’une petite fille d’un an et demi que j’ai vu, déposé sur un lit, comme un cadavre, un petit paquet blanc. C’est elle, Ivana, qui me fait écrire ce texte, non comme un texte, mais comme un appel au secours. Cette minuscule enfant brûlée, bandée des pieds à la tête, les bras écartés, caressés d’un doigt par la main tremblante de sa mère, n’avait de nu qu’une portion du visage qui comprenait ses yeux, son nez, sa bouche. Durant un instant, son regard m’a paru arrêté. Il ne demandait rien, il n’attendait rien, ne se plaignait de rien. Il était immobile dans ses yeux grands ouverts. Puis il s’est très lentement déplacé à l’intérieur de son trou. À peine visible, il a soudain remué le fin fond de l’humanité. Il a mis au monde un ange qui disait : je ne suis rien. Je ne peux rien. Mais je contiens le sens de ce que les mots ne peuvent plus dire.

Créé sous les auspices de la Fondation Raoul Follereau, le Centre des brûlés assure toutes les étapes des soins qui, de la réanimation à la chirurgie, peuvent s’avérer très longs. Il assure également des stages de formation pour des soignants d’autres hôpitaux. Pendant que j’y étais, s’y trouvaient des stagiaires de l’hôpital de Nabatiyé.

Deux êtres d’exception – un médecin, le chirurgien Pierre Yared, et une religieuse, sœur Hadia Abi Chebli – assurent la codirection de l’Hôpital libanais-Getaoui depuis 2010. Ils ont traversé et surmonté ensemble une succession de graves crises économiques et sanitaires, dont celle du Covid. Lors de l’explosion du 4 août 2020, l’hôpital qui avait patiemment épongé ses dettes a été partiellement démoli. Des donateurs privés libanais ont investi dans sa reconstruction. Animée par une foi à toute épreuve, armée d’une volonté de fer et de son chapelet de prières, sœur Hadia est aussi fine et menue que déterminée à soulever des montagnes. Après avoir fui le domicile familial, en 1979, à l’âge de 17 ans, pour entrer dans les ordres de la Sainte Famille libanaise, elle a suivi une formation d’infirmière, puis obtenu une maîtrise en gestion des entreprises ainsi qu’une licence en théologie a l’USJ, tout en suivant des études d’anglais. C’est à elle, avec l’appui de médecins engagés, que l’on doit la création du Centre des brûlés à l’Hôpital libanais-Getaoui. Plusieurs donateurs y ont contribué. Elle se bat aujourd’hui de toutes ses forces pour le maintenir. L’afflux des patients, la quasi-impuissance financière du ministère de la Santé, la baisse des revenus habituels due aux bombardements (la fréquentation de l’hôpital a baissé de moitié), rendent la situation extrêmement critique. Geitaoui est le plus grand hôpital affilié à l’université libanaise, il entretient du fait même une présence vitale pour l’enseignement public au sein du système de la santé : cet apport est crucial pour la préservation de l’Etat, de ce qui en reste.

C’est peu dire que le Centre des brûlés mérite d’être soutenu, de pouvoir continuer. Son coût mensuel est de 496 000 dollars, sans compter les honoraires des médecins. Son fonctionnement réclame urgemment de l’aide. Je m’adresse tout particulièrement aux libanais de la diaspora. Ils peuvent être les soignants à distance d’un Liban qui brûle. Si elles sont nombreuses, les contributions, quel que soit leur montant, feront une immense différence.

« Quand ils arrivent à l’hôpital les plaies des brûlés sont envahies, rongées par les vers » dit soeur Hadia. Seul de nos sens à recouvrir tout le corps,le toucher de la peau est son enveloppe, sa coquille. Quand cette barrière tombe, c’est le corps tout en entier qui est menacé. La souffrance monte au cerveau. “Je crois que c’est la pire des douleurs”, me dit Leny. En observant la surface déchirée des corps, j’ai pensé au pays : pendant que le Sud brûle, pendant que la Bekaa brûle, c’est tout le Liban qui brûle. C’est sa peau qui est en danger. Au moment de partir j’ai demandé à Mohammad, le père d’Ivana si je pouvais transmettre un message de sa part. Il a demandé que “nous les libanais, soyons tous unis et solidaires comme les doigts d’une main.”

Dominique EDDÉ, écrivaine

La fondation Œuvre d’Orient assure la transmission intégrale des dons à l’hôpital. Il convient de préciser que l’envoi est destiné au Centre des brûlés de l’hôpital libanais Getaoui. La fondation délivre un reçu fiscal.

Œuvre d’Orient, 20 rue du Regard 75006 Paris.

IBAN : FR76 3000 4002 7400 0102 3633 258

RIB: 30004 00274 00010236332 58

agence de domiciliation: CENTRE D’AFFAIRES IDF INSTITUTIONS

 
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